lundi 11 février 2008

JEAN-CLAUDE BOURGEOIS / II



"BOURGEOIS" DE LA COMTÉ / II


LA RURALITÉ

C'est une chose précieuse que la parole des gens. Celle du peintre Jean-Claude Bourgeois compile cinquante ans de peinture, toute une vie d'artiste dédiée au monde rural et à la Franche-Comté.
Oui, je pensais : c'est une chose si chère que la parole singulière, ces mots simples et véritables, qui s'échappent d'un monde tout entier dédié aux bavardages clinquants. La parole... et puis les silences surtout ! Tout ce qui consiste à mettre cette parole en valeur, l’extirper du flot incessant. Quelques mots choisis, une parole discrète, par opposition aux procédés de télévision (la verroterie du beau métier de diamantaire, la camelote du marchand de surprises...)

Comme je crois qu'un Bruegel suffirait à lui seul pour raconter toute une foule de détails sur la nature humaine de son XVIe siècle, quelques bleus marqueront aussi leur temps dans les « phrases » d'un « Monsieur » Bourgeois « de la Comté ». Quelques phrases peintes à la main. À peu près toujours les mêmes que l’artiste peaufine depuis cinquante ans, juste quelques phrases nécessaires pour raconter sa terre à lui. L’essentiel d’un vocabulaire altruiste. Des mots choisis pour ceux qu’il aime. Rien de plus. Un travail énorme en vérité ! Le labeur de toute une vie d’homme derrière les outils de son enfance. Comment vous dire ?! On s’est revu lui et moi. Une heure ou deux, à peine comme s’entendent les rendez-vous du monde moderne. On a parlé de presque rien. À part du monde qui continuait de se casser la gueule sans que personne ne semble pouvoir rien y changer. On a bu un café en évoquant ce cher Bruegel pour ne pas trop déborder de l’école flamande. J’avais préparé mille questions « intelligentes » à propos d’un tableau dont je voulais lui montrer qu’il rassemblait tellement d’idées dans le même cadre. Sa « faute pardonnée ». Une vingtaine d’habitants réunis comme une famille, tout un clan pour accueillir cette dame à l’enfant dont le peintre nous réserve l’identité.

LA FAUTE PARDONNÉE © JEAN-CLAUDE BOURGEOIS

La toile est organisée à part égale entre une portion d’ombre et la lumière chaude provenant de l’extérieur de la toile dont on ne sait si elle accompagne ce retour des personnages principaux au village, ou si au contraire c’est le jour éclatant qui diminue... inéluctablement ? La dame, courbée en avant, tient une valise et un enfant par la main. Ensemble peints exactement sur la ligne de démarcation lumineuse. Ils viennent de dépasser un poteau, un mat de cocagne... une vigie possible avec les choses du monde extérieur, le souvenir peut-être ? ou celui gris bleu et jaune du ciel qui surplombe la scène. Un pilier central comme un arbre cosmique. « Une barre circulatoire », notait Lacan, conducteur dune foudre responsable de la lente mutation des êtres vers leur destinée. Le corps d’une ferme traditionnelle fait office de décor imposant, ferme totalement toute alternative d’horizon. Pas même une fenêtre sur le mur jaune, baigné du soleil rasant. Point de nature singulière au-delà du ciel et de son produit hivernal qui ose s’inviter dans un interstice. L’immeuble domine comme un temple dénué de lustre, ce théâtre social, ce réceptacle de l’idée première d’un « retour » aux choses sereines. La foule est arrêtée, qui attend sans mouvement à part une main timidement tendue, oui, prête à « pardonner » sûrement. Est-ce cette neige abondante qui conforme l’état de la scène dans sa mélancolie ? Ils reviennent. D’où viennent-ils ? La question serait malhabile. Les visages sont flous, anonymes comme dans les meilleures fresques de Bruegel l’ancien. Reprenez la lecture du Dénombrement de Bethléem par exemple, et voyez ces gens qui s’animent au village sans que l’on n’en reconnaisse aucun. Pas même Joseph tirant son bœuf. Seule Marie peut-être nous renseigne sur son identité, mais la dame dans le portrait du peintre flamand, avance sur son âne les yeux fermés.

Dans « La faute pardonnée », il est encore cette énigme de deux couleurs « magiques » qui se détachent de la palette principale et quasi monochrome... le jaune et le bleu sur deux figurants placés côte à côte dans la juste direction d’une ligne de fuite initiée par l’arrivée des deux personnages principaux. Les deux protagonistes à peine isolés devant une famille chèrement serrée, ne font pas directement face à la l’action dominante, mais semblent plutôt tournés vers le spectateur ainsi pris à témoin. Qui sont-ils ? Pensez bien ce qu’il vous plaira...

J'avais préparé mille questions à propos de la nature humaine qui s'imprime dans la couleur des gens et voilà, je n'en ai rien fait. Peut-être à cause d'un tas d'images de télévision qui nous envahissaient ce jour-là. Tout une somme de parasites qui nous empêchaient de voir vraiment la réalité d'un monde sensible à la hauteur de nos sentiments pour les gens simples d'exception.
Néon™


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BOURGEOIS "DE LA COMTÉ" LE FILM (ÉPISODE II)


BOURGEOIS "DE LA COMTÉ" (ÉPISODE II) / NÉON™ 2007

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