vendredi 11 avril 2008

NEON™ À FLORENCE


VOYAGE / FLORENCE

La méduse / Le Caravage


TONY™ PROFITE DES PREMIERS JOURS DU PRINTEMPS POUR FAIRE UN DÉTOUR PAR FLORENCE, DISCUTER BOULOT AVEC BOTTICELLI. (UN MANUSCRIT À REVOIR ET SA BELLE CHLORIS QUI L'ATTEND SUR UNE TERRASSE DE LA PIAZZA DELLA REPUBBLICA).


La naissance de Vénus / Botticelli, v. 1485 (Galerie des Offices - Florence)

Après la Lituanie, l’Iran... un détour pictural par le Mexique, une manière un peu rapide de traverser Madrid avec une caméra de télévision encombrante à la place des yeux ; Néon™ fait un détour par Florence à cause d’une toile de Botticelli, d’une pietà de Giotto à la galerie des Offices, et d’un moment sur terre où Tony™ doit retrouver la trace de Chloris. (NDRL.Tony™, le type est écrivain et bosse un peu pour Néon™). Le printemps en Toscane avec les couleurs de Sienne dans ses yeux à elle ; ses chevilles sublimes

Le printemps / Botticelli, 1480 (Galerie des Offices - Florence)

dans une paire de talons vernis d’une grande marque italienne, ses cheveux teintés de caramel blond sous la statue de Persée (un bronze de Cellini vautré dans la lumière des flahs des passants étrangers).

Persée / Cellini, 1554 (Loggia dei Lanzi - Florence)
Photo © JL Gantner

La retrouver elle (c’est uniquement pour ça que Tony vient de se taper plus de six cents bornes à bord d’une caisse française sans âge qui fait tâche au milieu des Alfas flambant neuves. Et Tony aurait bien sûr préféré faire le voyage en Giulietta ou derrière le pare brise d’une 33).


La retrouver elle, à l’endroit précis des portes du paradis. Elle, et son ventre... son corps tout entier dans la lumière jaune de la cathédrale Santa Maria del Fiore. Un ciel magnifique capable de tout pardonner sous la coupole de Brunelleschi ;

Détail de la coupole de Brunelleschi / © JL Gantner

strate après strate, des couches de sédiments divins dans la liturgie d’un type un peu largué dans sa vie à lui. Vingt ans, tout un roman à reprendre pour Tony, la quarantaine maintenant franchement dépassée. Les pages écorchées d’un manuscrit resté en plan à la page d’un tableau peint dans plus pure facture de l’école toscane.

Dante et les trois royaumes - Huile sur toile/ Dominico di Michelino , 1465 (Duomo (Florence).

Une certaine idée d’un printemps dont « elle et lui » s’étaient promis qu’il durerait toute une vie. Chloris et une espèce de Mercure en pleine débâcle dans son éther d’amour délabré. (Le printemps, mais dans une région de l’est de la France par exemple !) Le souvenir de Chloris, incapable de se tenir droite dans le tumulte d’un tas de courants d’air. Chloris, si légère face aux masses d’airs, Chloris, pourtant si jolie sous l’effet des coups de vents. Tony, décapité ; sa carcasse d’Holopherne trahi, abominablement berné par la belle Judith. (Le type se souvenait d’un voyage à Rome où il était resté des heures entières sous la toile du Caravage avec un bouquin de Paul Auster pour essayer de tout déchiffrer des laborieux mécanismes de l’âme humaine et des histoires d’amour un peu fortes qui enrayent tout).


Judith décapitant Holopherne / Le Caravage 1598 (Rome)

Alors voilà, Tony, le type, Holopherne... avait refilé rendez-vous avec Judith/Chloris/Elle... sur la place della Signoria, à Florence, pour une sorte de grande explication qui servirait de dernier chapitre au beau tableau brossé dans le style renaissance. C’était, pensa Tony, le moment tout indiqué ; vingt ans tout juste après le début de leur liaison. L’instant propice, le kairos d’un grand chambardement annoncé et tout à fait indispensable pour continuer de survivre encore quelques temps dans le noir hertzien, et sans programme de télévision pour essayer de prédire les nuits qui s’enchaînent dans un bouillonnement d’étoiles filantes au rabais.

Le Ponte Vecchio sur l'Arno, Florence / © JL Gantner

Florence... Le côté Ponte Vecchio de Florence et ses centaines de touristes, l’estomac blindé de tartes italiennes arrosé de mauvais Chianti qui cherchent où pisser après une visite un peu rapide du palais Pitti, les jardins Di Boboli. Ce côté-là de la capitale toscane, ou bien le café serré à la terrasse du Paszkowski sur la Piaza della Repubblica juste au début du mois d’avril pour écouter les silences parfumées de Flore lui couler dans la gorge sans personne pour gommer l’état du ciel limpide. Elle, Flore/Chloris/Judith/Elle... « ma Beatrix... et ses seins ficelés de lauriers. Elle et ses armées sous ses ongles, ses anges maléfiques sur sa peau dorée ». Elle et Tony se sont retrouvés là, des tas de secondes épaisses avant de pouvoir déceler l’ébauche finale d’une mystérieuse allégorie. L’histoire d’Hylas enlevée par les nymphes et revenu d’entre-elles pour retrouver Vénus et sa guirlande de fleurs étincelantes en salle 14 des Offices.

Hylas et les Nymphes / John William Waterhouse, 1896 (City art gallery - Manchester)

Hylas extirpé du marais aux amibes pour goûter le dîner d’or sous la langue d’une Aphrodite apaisée. Chloris piqua un fou rire face à l’entrain, l’allant, la tentative de lyrisme de son écrivain préféré, marchant, ou plutôt cavalant à son adresse toute neuve. « Scusi, L’addition, the bill per favore », largua Tony, mélangeant tout des langues modernes et de son baragouin mythologique indéchiffrable. Chrloris/Flore... ria de plus belle. Des années qu’elle n’avait pas ri comme ça. Alors Tony se mit à psalmodier, les bras tendus vers le ciel : Je suis un écrivain moderne, je suis un écrivain moderne, répéta-t’il. Je suis un auteur post-moderne, hurla Tony, les yeux renversés. Je suis un poste moderne, un putain d’écran multifonctions pour servir au monde moderne de bureau des pleurs... Je suis le fonctionnaire des postes nouvelles, j’informe des formes, des nouvelles formes chancelantes ; je suis le facteur des mots de travers. J’achemine le courrier des âmes retournées, les lettres d’un monde timbré. J’enfonce, je tranche vos boîtes aux lettres, j’extirpe le glaive de mon fourreau jaune et tranche dans le vif vos coffres étroits, vos cassettes de souvenirs pétrifiés. Je brise vos écrins corrompus, arrache vos rubis pour nourrir ma froide administration, mon Leviathan.

David / Michel Ange (détail)

L’attroupement bouche bée, acclama le prince de la diatribe, le roi du libelle... requérant d’en entendre encore ; payant même de quelques pièces comme à la foire, offrant de s’acquitter de la noce toute entière au prix fort pour continuer d’applaudir aux flèches du messager céleste et à la beauté divine de sa dame de coeur. Elle et lui s'en furent sans demander leur reste, laissant pour compte la bande de touristes et leurs bourses aguicheuses ; traversèrent l'Arno pour se perdre chez les restaurateurs de cadres anciens, furetèrent un endroit dérobé, une porte cochère indulgente pour s’embrasser les lèvres, s'effleurer les cuisses aux embrasures ; se perdirent en conjectures à propos d’une moisson de pietàs gothiques dont il sauraient dorénavant récolter les fruits dans l’or véritable de leur existence réciproque, se promirent d'aller un jour à Sienne comprendre où en était resté Byzance au départ de Giotto. Il fit nuit assez vite ce jour-là au bord du fleuve de l'Apennin, Deux corps équivoques mêlés aux roseaux dans un liquide sucré, peut-être un Barolo vieux de vingt ans...


Vénus et Mars / Botticelli, v. 1483 (National Gallery - Londres)

Une scène de baise guidée par le voyage d'une planète capricieuse. Mars assoupi. Le plan de Vénus pour se réconcilier avec la terre. Vénus sortant de l'onde, prête à épouser toutes les faiblesses du monde terrestre pour continuer de lui plaire. Il fut aussi ce vide sidéral juste après. Le ciel si clair, transparent. Tony, à fond sur la pédale d'accélérateur de sa Spider, droit vers la mer. Chloris qui dormait sous les cyprès en flou alterné d'une image de vierge florentine dans les nuages récalcitrants. Livourne, Gênes, Turin, Aoste et puis la Suisse sous le Mont-Blanc... Le paysage sous les Alpes à mille kilomètres à l'heure pour voir la jupe de Chloris se soulever.


La sainte famille / Michel Ange ,1508 (Galerie des Offices - Florence)


Je crois lui avoir dit que je l'aimais. Elle, ses yeux et sa jupe relevée. Chloris et sa paire de pompes toutes neuves pour frimer dans son 35 malgré tout ce qu'elle aimait marcher, des heures entières accrochée à mon bras pour arrêter de déraper. (À suivre)
Tony™