lundi 5 janvier 2009

NÉON™ ET LA CRISE / I




Du journalisme en temps de crise / I.


C’est-à-dire que j’ai commencé par réfléchir à ces calamités qui nous attendaient comme la menace d’un conflit majeur entre des hommes de bonnes volontés que tout sépare en vérité, le revenu, la naissance, la condition sociale et la maîtrise d’un certain nombre de bons sentiments à l’égard des autres. Les calamités des temps présents comme disait Titien à propos de la paupérisation de Venise installée dans un conflit majeur avec les turcs. Le début du déclin pour la cité des Doges, et malgré la victoire indiscutable de la ligue chrétienne sur le plan militaire dans le nord du Péloponnèse (la bataille navale de Lépante ou pour l’anecdote, ce soldat nommé Cervantès perdit l’usage de sa main gauche sous les ordres de Don Juan d’Autriche, le catholique, ce bâtard de Charles Quint !) Titien qui avait finit par ne presque plus peindre qu’avec ses mains, délaissant le pinceau, l’outil... comme Dieu façonna l’homme à même la terre (au touché, à l’intuition...)

C’est-à-dire que j’ai commencé à réfléchir sur une somme d’afflictions qui ne manqueraient pas de recouvrir nos errances, nos histoires d’amour passagères... En fait, un certain goût pour le vagabondage intellectuel, un penchant inavouable pour les excursions cabalistiques, nos promenades intimes, les raisons secrètes de quelques voyages en altitude, l’aventure aurait-on dit plus tôt... Mais ça ne l’avait pas fait revenir pour autant ! Ni « elle », ni toutes les couleurs claires qui s’accrochaient à son souvenir. Un type, au hasard Tony™ (l’apothicaire du « Coup de chaud ») qui ne sait plus trop quoi faire de ses mains depuis cette fâcheuse affaire d’un roman avorté juste au pied du Mont-Blanc. Une histoire d’amour un peu abrupte, un carnet de voyage façonné au marteau-pilon, pour en finir une bonne foi pour toutes avec les greniers d’ombres, toute la saleté qui s’accumule au-dessus de nos têtes et qui nous empêche d’écrire au temps présent.

Tony, une table à l’entrée d’un bistrot parisien. Tony qui regarde les gens s’installer pour bouffer ; des couples, un tas de gens ensemble qui regardent l’écran de leur téléphone portable en attendant qu’on leur serve quelque chose à bouffer. Tout un tas de gens mariés qui regardent leur verre en attendant les plats! Tout ceux qui parlent pour ne rien dire et qui répondent au téléphone pendant qu’ils mangent. Des tas de gens de toute sorte qui regardent le monde dans leur fourchette, Tout ceux qui regardent ailleurs pour garder la ligne…


BATAILLE DE LÉPANTE / Paul Véronèse



- Tu n’as pas faim ?
C’est Vanessa qui s’inquiète de l’estomac de Tony avec tout l’blanc qu’il s’est enfilé depuis deux heures.
- Pas vraiment. Enfin si ! mais pas comme ça. Tous ces gens qui bouffent, les cruches sur les tables… mais toi tu peux manger quelque chose si tu as faim.
- T’aimes pas les cruches ?
Tony, qui pense à une peinture de J.B. Greuze accrochée au Louvre… et ça le fait marrer un p’tit peu.
- Tu aimes bien Ray Charles ?
Tony qui demande au patron s’il a AMAZING GRACE de Ray sur son PC qui sert aussi de juke-box. Tony qui se souvient toujours de ce morceau de Ray lorsqu’il songe à l’Afrique, aux grandes forêts africaines. AMAZING GRACE sur un décor incroyable de savane et de forêts géantes dans la brume. Tony qui explique à Vanessa qu’il avait d’abord voulu l’emmener au jardin des plantes pour lui montrer « ses » arbres, mais qu’il était vraiment trop tard maintenant. Tony avait d’abord prévu d’emmener Vanessa boire un café tout à côté du muséum. Ils auraient ensuite marché tous les deux jusqu’à la ménagerie. Vanessa aurait aimé les grands singes, les grands anthropoïdes prostrés derrière leurs cages de verre, et tout ce que racontait Marie-Claude Bomsel, la vétérinaire en chef : La disparition définitive de toutes les espèces de grands singes programmée en 2050 ; des hominoïdes comme nous… des gorilles des monts Virunga au Rwanda, des Bonobos de la république démocratique du Congo, des orangs-outangs bébés qui ressemblaient aux Simsons, des chimpanzés aux yeux tristes… Une disparition annoncée officiellement par 24 pays membres de l’ONU le 7 septembre 2005 à Kinshasa comme « inéluctable ». AMAZING GRACE en fond de génocide un peu glauque pour la terre entière, Tous les singes qui crèvent et les hommes avec ! Tout ce qui meurt sans faire de bruit et notre histoire avec. Un humanisme prométhéen comme on dit dans les livres sérieux, cynique et prétentieux ; con pour tout dire… Con et chrétien ! L’arrogance du genre homocrétinus qui admirait Kant et ses comparaisons idiotes à propos de la ressemblance des bêtes et des pommes de terre. Une bande de chrétiens en surnombre sur la planète qui avaient des problèmes avec le mélange des races, la sélection naturelle et les théories de Darwin. Une bande de crétins persuadés d’être au centre du monde avec le soleil qui leur tournait autour pour les réconforter. Ça durait depuis des siècles…


CROIX NOIRE 1915 /KASIMIR MALEVITCH


Vanessa, qui fait : « En fait ! j’prendrais bien des frites, des frites avec un dessert au chocolat ». Vanessa, toujours aussi gourmande, qui fait : « Je mangerai des frites pendant que tu me parleras de toi, de Dziga Vertov et du cinéma moderne… Tu me parleras de la nouvelle vague et de l’histoire des atomes si tu veux ?… de la force de l’énergie pure, des batailles à l’échelle cosmique et de toutes les forces qui s’annulent dans le vide hertzien… » Tony, qui n’en revient pas, bouche bée devant la réplique très post-moderne de Vanessa, pense tout à coup à Solferino… Solferino juste après Magenta (du rose qui absorbe la couleur verte). Solferino et puis 1981 ; Solferino sur la ligne 12… Tony s’est bien renseigné.

Et tout s’annule réellement ! l’inertie contre le pouvoir d’attraction. (La belle théorie galiléenne à propos de la chute des corps dans le vide…) Oui ! Tout s’annule dans le vide, le poids des âmes contre la force des étoiles. Tout s’abroge, tout s’invalide… les pires blessures dans le bleu des vagues, tout s’infirme… le rouge ambulances dans le bleu amer d’un grand tube cathodique ; le bleu primaire mélangé dans le jaune de cadmium (deux corps simples… qui s’anéantissent dans le mariage), Une belle histoire d’amour, un grand verre vide à la fin.

Tony, un peu bourré, qui regarde franchement Vanessa d’un autre œil. Vanessa, un peu floue, voir carrément double. Deux Vanessa superposées ; l’une, 20 ans, dans son manteau à poil... l’autre à 40, qui s’ennuie par-dessus. Vanessa, en forme d’hélice autour de son double ; Vanessa en forme d’héliotrope… une plante verte vissée sur elle même et qui continue de tourner autour de Tony sans rien en attendre vraiment pour continuer d’exister.

Mais revenons plutôt à cette calamité dont nous parlions. De ce journalisme des temps d’aujourd’hui, comme tout ce qui va vite et mal depuis un bon bout de temps. « Nous sommes la somme des actes que nous posons » disait Sartre, c'est-à-dire qu'aucun de nos gestes ne peut être retranché au solde de ce que nous sommes, totalement, infiniment, disons toute notre vie ou presque. Des salauds, Sartre pointait là tous ceux qui se chercheraient encore des excuses pour continuer de se la couler douce en allant trop vite et sans jamais se faire de mal devant leur miroir. (à suivre...)
Tony™