lundi 23 février 2009

LE COUP DE CHAUD / V



(ROMAN EN LIGNE)
LE COUP DE CHAUD
-5-



Un roman... et c'est évidemment Tony™ qui s'y recolle ! Sacré Tony ™ ! Un roman... ou une somme de lignes superposées au mouvement de l'air ambiant. Un de ces procédés écologiques pour dire la couleur verte qui lui coule dans les yeux au lieu d'une industrie lourde incapable de la distraire vraiment. Un roman... disons plutôt une correction à la volée d'un vieux manuscrit laissé pour compte par faute de temps, l'été 2003. Le coup de chaud... où ce qui arrive à force de prendre des douches froides au travers du cadre strict d'une météo de merde. Le coup de chaud ou une façon de décliner un paquet d'histoires anciennes, des engrenages, la mécanique rouillée des passions en retard. L'effort illuminé d'en découdre avec ses vieilles leçons de voyages, les malles défaites un peu partout dans le coeur de gens admirables et réconfortants. Le coup de chaud... comme on dirait : de La poésie, le cinéma... un tas d'emmerdements à la fin.


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CHAPITRE 4

LA COTE 1047-581
(Son drôle d'étang et son micro climat)



Lorsque Jules referme la portière de son véhicule de fonction banalisé, l’orage est alors parfaitement accroché au-dessus de sa tête. Jules vérifie encore une fois ses notes au crayon sur la carte au 25000e, boucle sa ceinture, ajuste son rétroviseur et démarre.

La cote 1047-581 de la série bleue IGN N° 2818O est constituée par la pointe supérieure d’un étang marécageux long de 350m environ et large du tiers, culminant très précisément à une altitude de 149m au-dessus du niveau de la mer. Le Grand étang de Palluau n’est accessible qu’après 1200m d’une route irrégulièrement entretenue mais bien marquée, traversant le bois du grand Palluau depuis le village des Vendues l’Évêque sur la D166 en direction de Chaource.

Depuis l’embranchement de la D116 et de la route bien marquée sur laquelle le fonctionnaire s’était engagé avec toute la prudence qui le caractérisait, l’averse a redoublé. S’inquiétant de la consistance douteuse du sol qui commence à se dérober sous ses roues, Jules Chaumont juge donc plutôt raisonnable de garer son véhicule sur le bas-côté et de poursuivre à pied. Il est presque midi et la pluie n’a pas cessé.

La cote 1047-581 ne traduit rien de particulier qui trancherait avec le décor —environ deux cents kilomètres carrés de feuillus — à peu près identique entre la cote 5335 au nord et 5327 au sud selon le quadrillage kilométrique Mercator Transverse Universel Fuseau 31.

Jules eut très jeune cette aptitude enviée par ses camarades de classe, à se représenter le monde sous les formes les plus diverses de l’abstraction arithmétique. Un monde traduit en ensembles et sous-ensembles d’estimations comptables à étaler au propre sur du beau papier quadrillé. Une prédisposition, un don !... qui masquait en réalité une tare réellement funeste, celle de n’avoir aucun sens des travaux pratiques. Une « difformité » dont il pouvait chaque jour mesurer qu’elle s’aggravait à force de ne jamais rien accomplir de concret sur le terrain, sexuellement surtout. Un exercice qui réclamait « prise de risque et dépassement de soi ». Tout ce que Jules Chaumont détestât de la nature humaine. Un désagrément auquel il convint aussi de rajouter cette certitude d’être mieux né que n’importe qui, dans le dessein du commandement. Une capacité toute naturelle à enjoindre, à exiger... Une disposition innée pour l’ordre et la contrainte.

C’était, relativement conscient de ce vice de forme qui incombait à sa nature singulière, qu’il avait très vite et judicieusement dirigé sa carrière professionnelle vers des postes à responsabilités. (C’est-à-dire que Jules et son assurance de terminer au moins secrétaire d’état au planning de la brigade départementale foncière chargée du cadastre… s’estimât toujours mieux rompu à dire ce qu’il fallait faire qu’à réellement réussir à le faire lui-même). Le signe indiscutable s’il en fût besoin… de sa supériorité sur les autres. Une propriété qui lui valait chaque année, son avancement régulier, au sein de l’entreprise publique des mesures foncières.

Empêtré dans ses pensées d’une règle de Pythagore appliquée en forme des seins tout à fait désirables de Vanessa, multiplié par une somme infinie de possibilités qu’il aurait de ne jamais trouver le moyen de coucher avec elle, le type est maintenant tout à fait perdu, paumé au milieu du terreau détrempé de la forêt de Chaource. Un vrai « paumage » en règle. Le « pommmage » de chez Madame Pommery™ (une cuvée Louise 1998 à 120 euros l’étiquette. Le must de la maison champenoise). Et à ce prix là, il fallait tout de même pas déconner non plus ! Jules, en train de se fourvoyer complètement, entre une possibilité bien mince de vivre sa première véritable aventure amoureuse avec une secrétaire intérimaire, et le prix un peu fort que ça risquerait de lui coûter pour conclure avec elle.

Un certain laps de temps passe encore, avant qu’il ne commence de considérer sa véritable position dans l’espace. « Un type, pathétique géographe, qui ne serait pas moins avancé, seul à la dérive au-dessus de la grande dorsale indo-antartique, en essayant de s’y retrouver sur l’emplacement exact d’une cité bretonne engloutie dans les profondeurs du triangle des Bermudes ».

Cette dernière considération flanqua la trouille au fonctionnaire qui fit un signe de croix à l’adresse du grand ordre du monde, et dans un mouvement de recul, manqua d’écrabouiller un énorme champignon tout rouge. (Oui, Jules aurait trouvé ça dégueulasse !…) Le rouge l’énervait, et je vous assure qu’il fût tout à fait préférable que Jules ne s’étende en aucune manière sur le sujet d’une couleur vive un peu criarde. Cette saloperie de rouge, et qu’on y revienne plus !

Au lieu-dit du bois de Palluau, la pluie n’avait pas cessé, bien au contraire. Elle enflait, déferlait, cascadait d’un arbre à l’autre, comme l’incendie se propage de branche en branche en mille réseaux nerveux... « Toute cette pluie... » Jules Chaumont songea alors à son père. Par analogie sûrement ! avec cette perturbation qui lui battait le visage depuis plusieurs minutes. Son père, qui raffolait des orages, des bourrasques. Un vrai baromètre lorsqu’il s’agissait d’annoncer le mauvais temps, un vrai temps de merde...
Son père... Allez comprendre !... Jules vous aurait dit que Tony prenait l’eau, oui, comme d’autres pouvaient avoir envie de prendre l’air. Le genre de type légèrement fabriqué à l’envers si vous voyez ce que je veux dire. Le genre d’abruti qui profitait des jours d’intempéries pour sortir ; des aberrations climatiques, pour déverser à son môme ses torrents d’idées toutes faites sur les cycles lunaires ; l’objet humide et poisseux d’un joyeux bordel familial... Auprès de lui, Jules s’enhardissait de formules ésotériques qu’il répétait inlassablement ensuite à sa mère dépitée et blasée. Des locutions pleines d’esprit comme par exemple : « Il fait un temps à ne pas mettre un chien dehors ; il fait un froid de canard ; Le diable bat sa femme et marie sa fille… Des proverbes plutôt brillants comme : Ciel pommelé et femme fardée ne sont pas de longue durée ; Noël au balcon, Pâques au tison »... Le mioche, à la manière d’un petit phénomène surdoué, balançait ensuite ces slogans à tout va. Des dictons auxquels il ne comprenait rien, mais qu’il prenait à son âge pour des formules magiques ; des recettes linguistiques occultes qui préservaient le monde des aléas, de la malchance, des calamités et de la mauvaise fortune. Tout ce qui pourrissait la vie des Chaumont depuis leur mariage.

Autant qu’il pouvait s’en souvenir, mais l’image était floue à cause du voile de brume qui accompagne presque toujours la pluie en été ! son père avait toujours vécu sous cette forme singulière d’une contradiction à la raison générale, détestant les anticyclones bien accrochés au-dessus de l’Est de la France parce qu’ils l’empêcheraient à coup sûr de sortir pour traîner son fils dans les flaques... détestant surtout... les surplus de lumière naturelle... les lieux publics fortement éclairés ; tout ce que les gens allumaient un peu vite pour se débarrasser des trous noirs et du vide sidéral, les contre-feux au soleil couchant. Tout ce que l’humanité se chargeait d’incendier de la couleur tragique des errances et du temps maussade qui reviendrait, « parce que ce putain temps de merde trouve toujours le moyen de revenir ! » Tout ce combustible foutu en l’air pour rien et qui dégueulassait tout. Un type qui ne s’était jamais totalement désintéressé du vrai sens commun, mais seulement pour avoir toujours cherché à lui opposer ses propres contradictions. Non que ce type-là ne se fût tout à fait passionné pour rien ! (la démonstration de son intérêt pour les choses du ciel, les contrastes thermiques et les perturbations saisonnières établissait toute la preuve du contraire) mais plus précisément, Tony n’eut jamais pour personne, la moindre propension à établir cette matière d’un lien social et garante d’une quelconque attache communautaire, familiale ou même seulement amicale. Le genre de sale individualiste, indifférent à tout ce qui n’aurait pas su l’atteindre directement. Un type et son caractère exécrable, mais passons !

Lorsqu’on l’avait interrogée, son épouse n’avait pas su quoi répondre exactement. Elle dût encore expliquer aux enquêteurs, comment « le comportement de Tony avait beaucoup changé à la fin ». Marie était restée évasive, sûre de rien, mais s’était tout de même rappelé que « Tony semblait avoir trouvé d’un coup, cette forme de calme, c’est ça ! une brusque inclinaison au bien-être pour des choses aussi sommaires que les changements de température ou les variations climatiques ». « Une plante verte ! » aurait sûrement dit Vanessa ! mais qui se serait aussi mêlée de ce qui ne la regardait pas. Marie, se souvînt s’être d’abord et forcément réjouie de la transformation de son mari, quelques jours seulement... avant de devoir très vite une nouvelle fois déchanter.

Ils s’étaient rencontrés au « Citizen Kane ». Elle avait vingt ans, lui, un désir sexuel. Marie était tombée amoureuse de lui au premier regard(X). À cause de ses yeux bleus et de son air timide. Sa façon rentrée de toujours essayer de dire ce qu’il pensait et ses cheveux bruns plutôt clairs. Son côté ténébreux et solide malgré sa petite taille. Bon, oui, sa taille un peu en dessous de la moyenne, mais à force... elle se disait qu’elle n’y penserait plus.

-X- Formule littéraire usée, vieillotte, voir franchement miteuse pour définir l’idée d’un début d’histoire d’amour banale. Prémices amoureux et sans réel intérêt, dont l’auteur souhaitait se débarrasser au plus vite.

Quelques verres de Crieck™ bécasse à la cerise plus tard, et la sottise d’un baiser enflammé(X). Plus rien ne manquait plus à la combustion de ses deux matières fissibles dans le temps et les emmerdes quotidiennes en commençant par l’excrétion miraculeuse du plaisir accompli, digéré puis régurgité en forme de projet d’avenir un peu encombrant. Un certain Jules Chaumont (3,2kg), tout le portrait de son père.

-X- L’auteur... insiste. Qu’on veuille bien encore une fois lui pardonner ses excès, son goût immodéré pour la facilité. Les eaux blêmes d’une certaine complaisance avec les commodités de la langue française lorsqu’elle est amoureuse.

Tout avait donc commencé comme ça. Un ouvrier plutôt « polyvalent » dans le domaine du bâtiment et les couches du mioche à régler en fin de mois. Tony voulait refaire le monde à son image... mais son image n’était déjà plus belle à voir... le soir surtout ! très tard, lorsque le bistrot fermait. chez « Kane », où le julot avait encore ses habitude, lui et ses potes de chantiers.
Avec Marie, ils s’étaient installés rue Michelet, dans un appartement plus grand pour faire de la place au petit. Un immeuble en béton précontraint dans un quartier modeste, mais complètement rénové. Une entrée secondaire donnait au rez-de-chaussée sur la rue du commissariat, l’entrée mais également la fenêtre de leur chambre. L’unique fenêtre de l’appartement au dernier étage sous le grenier. C’est à ce moment-là que la jeune femme s’était mise à fréquenter Antoine.

Antoine Conte de Beauregard, « Conte » par son père, et « Beauregard » du côté de sa mère. Photographe reporter spécialisé dans l’exploration des cimes, la conquête des hauts sommets. Plutôt réputé jusqu’ici pour des cadrages serrés, ses close-up de jeunes filles en petite tenue débraillée. Son modèle : Barry Bishop, rédacteur et photographe du National Géographic, amputé de tous ses orteils au cours de l’expédition américaine victorieuse à l’Everest(X) le 22 mai 1963.

-X- De son nom d’origine « Peak XV » alt. 8848m (la dernière mesure connue à ce jour) rebaptisé « Everest » en 1865 par le bureau des Indes du service trigonométrique et géodésique de la couronne britannique, pour honorer la mémoire de sir Georges Everest, un des pionniers de la cartographie du sous-continent indien.

Une simple incartade pour commencer. Un simple flirt. Jusqu’à ce que l’aventure finisse un jour par dégénérer en affaire sérieuse, au moins pour Marie. Quelques rendez-vous avaient suffi pour que la jeune mariée ne puisse plus se passer de son photographe. Accrochée à son reporter comme de la craie broyée sur une ardoise (le résultat d’une loi universelle de l’attraction des corps plutôt désagréable à entendre et surtout pour Tony !) Mais Marie n’en avait vraiment rien à foutre ! Ni des lois universelles dessinées à la craie, ni des codes de procédures civiles qui encadraient encore la vie de couple au sein de l’institution du mariage.

L’année 68 défilait, le printemps, la fête à Paris, la libération sexuelle... Antoine était parti tenter sa chance dans les manifs pour essayer de vendre quelques photos dans la grande presse ; la Sorbonne et l’École de médecine avec un appareil flambant neuf comme celui de Robert Capa flingué en Indo. Celui de Cartier-Bresson qui depuis, avait décidé de se mettre au dessin. Un « Leica » équipé d’un trente-cinq, pour accentuer les effets de surprise des compagnies mobiles en contre-plongée. Prague aussi. Puis Août déjà. La fin du bal entre la Tchécoslovaquie et les troupes du pacte de Varsovie. Ses premières publications dans la presse d’opinion, son premier C.B. imprimé au pied d’un cliché.

Un an plus tard. Le jour exact du vingt-cinquième anniversaire de Marie. Ce 21 juillet 1969. À 3 heures 56 du matin, la mission Apollo 11 venait d’accomplir le plus vieux rêve de l’humanité : S’extirper enfin de son enveloppe maternelle à la conquête de l’espace infini, en commençant par se rendre chez sa voisine la plus proche. Au mois d’Août de la même année, 400 000 hippies et leurs idées anticonformistes se rejoindraient à Woodstock petite île proche de New-York (états-Unis) pour écouter de la musique rock, fumer de la Marijuana, s’aimer... Décidément ! se promettre la lune, eux(X) aussi ! et râler contre la politique américaine au Vietnam.

-X- Une génération couramment surnommée post-soixantehuitarde se dégagerait spontanément des évènements de cette année de fête, d’amour et de liberté d’opinion. Ceux-là même qui trente ans plus tard donneraient des leçons de morale à tout le monde en applaudissant la police ; réclameraient un contrôle plus sévère de l’immigration ; laisseraient crever les pays du sud en leur balançant même des bombes sur la gueule pour qu’ils évitent de l’ouvrir trop fort. Une génération qui n’aurait jamais rien à dire sur l’abattage systématique des forêts équatoriales, boréales... et tutti quanti des cargaisons de bois précieux ratissés pour s’en faire des meubles de jardin. Une génération qui ne prendrait jamais le temps de s’inquiéter des conséquences pour le monde, d’adorer poser son cul sur ce genre d’ameublement étanche, à savoir : Provoquer l’extinction de la moitié des espèces de plantes et d’animaux sur terre et dans les plus brefs délais. Une génération de vacanciers au corps badigeonné d’ambre solaire et qui éplucherait les récifs coralliens pour s’en faire des souvenirs un peu moches ! Ceux-là mêmes qui viendraient les premiers déballer leur bordel intime sur des programmes de télévision de leur propre invention. Une génération affalée devant son poste pour s’empêcher de penser. Tous ceux qui finiraient par acheter des chiens pour les faire chier sur les trottoirs ou pour bouffer les gosses des voisins. Des gros, pour faire peur aux noirs ou aux coureurs cyclistes. Une génération qui ne voudrait plus payer d’impôts, mais qui réclamerait le service minimum dans les transports publics. Tous ceux qui aurait un peu égaré leur carte d’électeur où qui réussiraient à la refiler en douce à Le pen. Tous ceux qui n’en pensaient pas moins et qui ne valaient pas mieux !

L’année de la tentative de suicide de Marie Chaumont.



(À SUIVRE)