dimanche 29 mars 2009

LE COUP DE CHAUD / XIII



(ROMAN EN LIGNE)
LE COUP DE CHAUD
-13-



Un roman... et c'est évidemment Tony™ qui s'y recolle ! Sacré Tony ™ ! Un roman... ou une somme de lignes superposées au mouvement de l'air ambiant. Un de ces procédés écologiques pour dire la couleur verte qui lui coule dans les yeux au lieu d'une industrie lourde incapable de le distraire vraiment. Un roman... disons plutôt une correction à la volée d'un vieux manuscrit laissé pour compte par faute de temps, l'été 2003. Le coup de chaud... où ce qui arrive à force de prendre des douches froides au travers du cadre strict d'une météo de merde. Le coup de chaud ou une façon de décliner un paquet d'histoires anciennes, des engrenages, la mécanique rouillée des passions en retard. L'effort illuminé d'en découdre avec ses vieilles leçons de voyages, les malles défaites un peu partout dans le coeur de gens admirables et réconfortants. Le coup de chaud... comme on dirait : de La poésie, le cinéma... un tas d'emmerdements à la fin.


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CHAPITRE 7
L'AMANITE TUE-MOUCHES
Amanita muscaria
(SUITE)


L’angiosperme en question mesurait environ 30 mètres et portait le nom mystérieux de Viviane sur l’arbre généalogique familial. Un feuillu du côté de son père... mais relativement difficile à repérer au milieu d’une descendance aussi luxuriante. Fagoté de son titre d’alpiniste malgré sa décision de tout arrêter, Antoine considéra plus galant de prendre en main les opérations de topographie sur le terrain pour permettre à la demoiselle de rester concentrée sur son ouvrage de métaphysique. Se rappelant les conseils de Pierre avant chaque départ de course, le garçon s’était procuré au dernier moment un guide topographique précis des environs de Palluau édité par le comité national des sentiers de grande randonnée avec l’autorisation de l’Institut Géographique National. (On retrouvait la forêt magique de Marion, répertoriée d’Ouest en Est comme un ensemble de feuillus communs, parcouru par un itinéraire(X) balisé de Grande Randonnée, le GR2 dans l’une de ses subdivisions, intitulée Gr24C entre la commune d’Estissac et celle de Mussy s/seine).

-X-On dénombre en France au moins 100 000kms de ces chemins de traverse parfaitement normalisés, où il suffit de suivre les flèches bicolores rouges et blanches pour vivre une expérience exceptionnelle de pleine nature.

La brochure conseillait la précaution préalable à toute aventure sur les sentiers, d’adhérer à une association de plein-air, et de veiller surtout à ce qu’elle soit membre de la fédération française de la randonnée pédestre... Une sorte de parti fédéraliste dominant sûrement ! dans l’idéologie du parcours à pied nationaliste promeneur ! Un mouvement de pieds, mais ajusté à son cadre strict de pratique, dans la droite de ligne du parti des marcheurs d’élite. Une sorte de Club Alpin Français si vous voulez ! les joies du relief en moins.

L’ouvrage ouvrait sur cette information capitale :
SAVEZ-VOUS QUE :
-VOUS ETES RESPONSABLES DE TOUS LES DEGATS CORPORELS OU MATERIELS QUE VOUS POUVEZ CAUSER A AUTRUI.
-VOUS COUREZ VOUS-MEMES DES RISQUES DE TOUS ORDRES ENTRAINANT DES FRAIS MEDICAUX, D’HOSPITALISATION, DE TRANSPORT, UNE INCAPACITE PARTIELLE, TOTALE, OU PIRE LE DECES.
ASSUREZ-VOUS ! PRECISAIT ENCORE LA PLAQUETTE.
Enfin, une belle publicité concluait :
UN JOUR DE SENTIER =HUIT JOURS DE SANTE !

Antoine regretta Pierre pour ce qu’il ne fût pas avec lui pour atteindre son but avec son aisance habituelle, mais se débrouilla tout de même pour l’imiter. La route était décrite avec une certaine perspicacité par les auteurs du guide, mais dans un sens seulement (venant du Nord-Ouest). S’engageant par le Sud-Est, Antoine dut faire preuve d’une certaine circonspection pour réussir à se diriger dans le paysage : Il lut donc en commençant par la fin : A l’extrémité du sentier, tourner à gauche : on atteint le D.34 qu’on suit à droite sur environ 2,8 km (forêt privée). Prendre à gauche un chemin empierré, en lisière de forêt, jusqu’au D.166 qu’on emprunte à droite jusqu’à : LES LOGES-MARGUERON.

A l’intersection des cotes 2346 et 730,5 du quadrillage kilométrique Lambert zone II, Marion, qui s’était laissé conduire sans être dupe des embranchements, des fourches ou des ramifications détournées... serra très fort Antoine dans ses bras et l’embrassa plusieurs fois sur la bouche pour le récompenser.

Ses lèvres mouillées d’ambre, sa bouche comme l’enfer, un ravin d’amour frais… l’abîme sublime et la langue didactique, déferlante de Marion.

Le temps était magnifique. Les hautes pressions persistaient depuis plusieurs jours sur une bonne partie de l’Europe occidentale, mais on pouvait déjà sentir les prémices d’une perturbation imminente par l’arrivée d’un front froid se déplaçant rapidement au-dessus des côtes Atlantique.

Pierre aurait pu facilement calculer qu’à la vitesse moyenne de 40 km/h, le courant d’air critique mettrait au moins onze heures pour parcourir la distance qui les séparait des côtes anglaises. De sorte que les deux promeneurs pouvaient marcher quelques heures encore sans souci particulier d’aucune sorte.

La forêt de Chaource™ (pour le nom d’une marque déposée de fromage au lait cru, et rachetée par un groupe commercial nippon au début des années quatre-vingt-dix comme pas mal d’autres choses encore… fromages, châteaux, vins de Bordeaux...) n’avait pas cette aura particulière de l’histoire de la forêt d’Orient, sa voisine au Nord Nord Est d’à peine une dizaine de kilomètres. La forêt d’Orient et sa réputation de décor fabuleux où eurent galopé, dit-on, les Chevaliers de la table ronde avant d’y enfouir « quelque part » leur formidable trésor (beaucoup creusaient depuis !… des candidats à la fortune regroupés sous forme d’associations loi 1901 à but… non lucratif). Une forêt commune, mais qui n’en restait pas moins un merveilleux exemplaire de ce qu’était l’état naturel du monde aux prémices du temps des fleurs, des arbres et des plantes vertes.

Quoique les fleurs, plus complexes que les plantes vertes étaient apparues bien plus tard à la surface de la terre… Mais de cela, précisément à ce moment-là, Antoine n’en n’eut vraiment rien à foutre ! Ni des fleurs (en particulier des pissenlits qui nourrissaient les vaches du canton de Chaource), ni du lait cru qu’on caillait avant de récupérer la crème pour faire du beurre cru ; ni des techniques d’affinage ancestrales qui foutaient le camp à l’étranger ; ni de tout cela, ni de la vie bactérienne (schizomycètes ou protistes procaryotes), protophyte, protozoaire, ou métazoaires (par opposition), et — de toute façon — microscopique… qu’il écrasait sous ses pieds sans même le savoir ! Non plus qu’il n’eut le moindre début d’attention pour les Chanterelles, les Coprins, les Pleurotes… l’Armillaire couleur de miel (très parfumé), le Rosé des prés, la Volvaire gluante (qui comme son nom ne l’indique pas forcément est un excellent comestible)… Ni de toutes ces élucubrations champignonesques parfaitement indigestes, ni d’aucun vénéneux non plus ! Pas même l’énorme Amanite tue-mouche qu’il allait s’enfiler pour rire et qui lui collerait la pire gerbe de sa vie pendant huit jours. Oui, et Antoine se rappela la publicité : Un jour de sentier…

Antoine dut se résoudre à lâcher là ses règles de géographie un peu gauches et ses balises de sécurité de toutes sortes empruntées à Pierre, son nord magnétique, qui tirait déjà un peu vers l’Est (Antoine n’en était pas forcément conscient). Mille puissances vertigineuses se confondaient maintenant avec le soleil, le ciel et la terre, l’humus tendre et fertile du sous-bois ; le corps chaud, embrasé… flambant neuf de Marion ; sa peau légèrement mate d’origine et un trompe l’œil en forme d’un bien étrange papillon dessiné sur son dos… Un principe cabalistique tracé à la plume jusqu’au sang…

L’air sentait bon, un parfum comme la feinte d’une conjugaison. Le temps, était plus-que-parfait… Elle, la plus habile dans cette forme du temps passé, s’était défaite la première sous les ramées allogènes de Dame Viviane. Marion se défit… aida aussi le jeune homme à se défaire de son infinitif un peu sommaire, tant et si bien que tous deux s’ôtèrent… l’un l’autre dans cette sorte de grammaire douteuse, même pour un temps de saison.

Toute une vie minuscule et merveilleuse des sous-bois, amorçait d’accomplir la métamorphose d’Antoine B. par le biais d’une première tentative sur le terrain de la linguistique appliquée. Est-ce à dire aussi que le fils de Charles et Madeleine, le troyen… le danseur raté, l’ami de Pierre disparu en montagne ; l’alpiniste qui apparaîtrait plus tard sous les traits d’un photographe de guerre pour stagner au fond des yeux détrempés de Marie ; l’amateur d’abîmes, pour l’heure reconverti aux horizons modérés pour baiser au verbe « hêtre » (cette forme de conjugaison de style sylvestre) ; oui, ce poète travesti dans la lumière mordorée des futaies… irait jusqu’à entreprendre cette mue considérable, thérapeutique… par l’entremise d’un style de jouissance, forestière ? Un roman d’amour à la façon d’une profession champêtre. Un guide de botanique ; l’ouvrage naïf d’un simple amateur en jardinerie.


(À SUIVRE)