mercredi 10 février 2010

CERCLES / FICTIONS


THÉÂTRE, BONNE BOUFFE ET AUTRES VOYAGES EXTRAORDINAIRES



« Tu vois ce qu’on voit, qui s’ébranle. Non... tu vois pas ! »
Bashung - Happe



LES BOUFFES DU NORD - PARIS


On a écouté Bashung... J’écume... et puis découvert Happe pour la première fois. La version live d’ « Un dimanche à l’Élysée ». (La journaliste avait prononcé « Heïpe » comme s’il s’agissait d’un titre anglais). L’agréable « berceuse » passait sur Inter. Un interlude mélancolique coincé entre une paire d’invités de Laure Adler vers minuit. Christophe Rauck, et puis Joël Pommerat, deux fois nominé aux Molières... Nous revenions de Bouffes du Nord justement ! Lili faisait ses devoirs ; un tas de trucs utiles pour le lendemain et sa vie à elle plus tard. On a lu des vers d’Apollinaires dans son deux pièces en une avec vue sur la rue Jean Moinon dans le dixième arrondissement, bu ce qu’il restait d’une bouteille de Beaumes de Venise, et puis reparler de la pièce en bouffant des pâtes à la tomate et du homos étalé sur des blinis. Cercles/Fictions. Une création du type qui répondait aux questions de la radio. L’histoire d’un type... qui finit par se farcir une clocharde au fond d’un parking pour grimper dans l’échelle sociale. Mais un chevalier débarque, blessé, qui l’interrompt sous des fumigènes dorés. Joël Pommerat raconte que tout est vrai ou presque : l’étrange forêt des songes et les cris angoissants d’un enfant (« un bébé... » tient à préciser Laure Adler). Tout est vrai souligne le jeune metteur en scène : la clocharde dans le parking ; le bourgeois qui fume le narguilé sous son lustre clinquant ; sa femme, la maîtresse de maison qui souhaiterait que ses employés la tutoient dans un véritable souci d’égalité entre tous les hommes, toutes les femmes et tutti quanti d’une matière humaine re-modelable à façon. Tout tourne en rond, un cercle infernal. Ah oui ! j’oubliais aussi cet autre tableau d’un de ces patrons du CAC, ce vainqueur tragique, ce fonceur, ce battant ridicule dans son costard trop maigre, venu faire la leçon à des chômeurs en fin de droits. Ce bricoleur de performances et de succès immédiats plongé dans les bas-fonds d’un autre tableau dix minutes plus tard : Une vente à la criée. Une bonne affaire. Le troc immonde d’un matériel humain contre un peu de son fric. L’échange sordide d’un organe pour sauver son gamin malade, se fait aux enchères autour d’un brasero. Le son des bagnoles... Le trafic sur le périphérique. Une vraie misère !


CERCES / FICTIONS - JOËL POMMERAT (photo © Élisabeth Carecchio)


Tout tourne en rond. C’est la guerre... ou l’idée d’un conflit immuable. La guerre, ou quelque menace d’une nouvelle barbarie imminente. On entend tout dans des haut-parleurs suspendus au-dessus du plateau, comme une plage sonore derrière la voix des comédiens amplifiés. Les bombardements qui se rapprochent. La lumière vive des éclairs, l’éclatement compact... (« Tendres yeux éclatés » écrivait Apollinaire justement ! qui se demandait s’il était possible d’aimer sous les obus et la mitraille ?) l’évocation de tout ce qui nous était vraiment tombé dessus juste avant à Verdun ou partout ailleurs. Tout éclate, tout retentit : Les ordres grotesques, militaires de mourir pour quelque chose, comme si l’on pouvait aussi quelquefois mourir pour rien ! La vie qui ne vaut pas bien cher au-delà de la scène, dans et même hors du cercle diabolique. Le spectacle se termine dans une brume onirique. Le chevalier en armure s’exfiltre du monde réel, droit sur sa bête fantomatique. À moins que ce ne soit l’inverse dans une lumière magique... Une apparition, juste une image qui perce le brouillard ultime de l’imagination. « Tout me happe... » Comme un peu de poésie qui prendrait place au milieu du cauchemar céleste. Du coup on a oublié Soulages ! Les Outre-noir de Pierre Soulages à Beaubourg. Du brou de noix sur papier, du goudron sur verre cassé... Du noir sur noir en grand format étalé sur les murs d’un grand musée d’art moderne parisien. Bref ! Ainsi vont les voyages du corps... dans les impasses bien assorties. Lili continuait de jouer dans l’ombre, le rôle de cette petite danseuse d’origine hongroise. Une jeune fille assassinée à Ravensbrück. Quelques dates encore à Laurette, une scène minuscule rue Bichat entre Goncourt et République proche de l’Hôpital st Louis et du canal St martin. Je me disais que c’était ce qu’elle voulait, qu’elle était belle, que j’aimais ces sourires, ses jolis yeux quand elle riait, et que tout était bien. J’approchais de l’heure ou j’allais encore devoir la quitter pour prendre un train rapide qui m’emmènerait loin des jolis théâtres et des grands magasins remplis de marques de chemises un peu chères juste pour ce qu'on avait le temps de les porter.
NÉON™