lundi 3 octobre 2011

"DU TEMPS QU'ON EXISTAIT"



En préambule d’un automne qui n’en finirait plus et d’un hiver qu’on annonçait forcément encore plus terrible entre nous.






J’hésitais encore entre la lecture d’une étude approfondie concernant la posture du coureur cycliste au moment du sprint final et cette sorte d’élan littéraire de jeunesse circonscrite à la personne de ce Marien Defalvard dont on parle beaucoup en ce moment (cette posture justement, délibérément préférée, de ne jamais succomber à lire des trucs pareils, rabâchés partout et en toute occasion jusqu’à la nausée). Un principe, qui vaut quand même quelquefois d’être dépassé. Je hochais donc entre Deux tomes réunissant l’intégrale des « fondamentaux du cyclisme » de Christian Vaast (déjà ancien) ou bien ce « Du temps qu’on existait » d’un tout jeune écrivain resté coincé quelque part entre Flaubert et Proust dans la demeure « mystérieuse » du Grand Meaulnes. « Du temps qu’on existait »… du temps où tout était encore comme avant. Du temps où le nombre de places disponibles dans les tribunes correspondait parfaitement avec le nombre de ceux qui avaient envie de s’asseoir pour voir le match. Du temps où les gens qu’on croisait dans les yeux continuaient de marcher en ligne droite sans être forcément obligés de faire des ronds dans l’eau pour se faire remarquer. Ce temps là qu’on prenait ensemble au lieu des turpitudes binaires et des confusions électroniques entre nous. « Du temps qu’on existait » Le machin plein de pages bien cousues et sa cour d’idées sur tout a fini par l’emporter un peu sur les calculs de ratios rapportés aux principes de mécanique du corps humain dont j’avais forcément fini par me lasser. L’automne naissant. Un automne qui n’en finirait plus dans son décor de cuivre ensanglanté. La vieille rengaine d’une fin d’été meurtrier. J’alternais. Une page ce Christian Vaast, une page de Marien Defalvard. L’une ou l’autre dans n’importe quelle ordre pour me défaire des modes bien cadencées sur l’écran. « Du temps qu’on existait » et toute la mort qui va avec une fois la page tournée. La mort d’avant et… celle d’après (la mort définitive donc, celle-là !) Une mort complètement morte. Une mort où il ne resterait plus de vie du tout à la fin hormis peut-être ces quelques traces synthétiques indélébiles à propos du temps qui passe et de certains de nos amours dépareillés, des traces factices et bornées, récalcitrantes aux opérations de gommage forcé sur nos réseaux fantômes. Quelques stigmates du monde réel burinés sur nos disques durs un peu chers à payer, avant que tout cela ne soit à son tour recyclé en machins tout mous pour éviter à une ribambelle de gamins de se cogner dessus trop fort. Quelques marques tangibles et glaciales de cette « prétendue » existence…
Et dire que j’étais parti pour vous parler de l’hiver moi ! D’un hiver qui préparerait le printemps juste avant l’été qui reviendrait forcément. Quelle connerie ! Et que deviendrait-elle pendant ce temps là ? Elle… D’où qu’elle me perçoive au fond de sa cage dorée et quoi qu’elle puisse penser des demi tours d’horloges que je passe à dormir avant de me réveiller chaque matin sous un « nuage splénétique ». Imaginez alors ma tribune auprès d’elle, mon piteux édifice de spectacle dans son portrait déjanté de l’aurore. Imaginez l’esquisse, l’étude de mon matériel de scène dans la débâcle ; tous mes efforts pour aligner mon podium défiguré dans la cohue de l’aube naissante, la pagaille de mes sentiments délabrés envers elle… Mais « elle » n’en lira rien. C’est l’avantage d’écrire au delà de la seule mensuration du SMS ou du langage forcé par notre électronique embarquée. Un mode de transport idéal pour n’avoir à gêner personne au delà des vitesses autorisées. « Elle ». Assise sur cette abominable dépouille de Proust comme on s’invente des fauteuils Voltaire rayés pour se réchauffer le cul d’un paquet de hachures exotiques sur les plateaux de télévision. « Elle ». Cette époque tragique et post-télévisuelle. Ce corps fébrile entièrement refait à neuf dans sa culotte « en string », ce cadavre remodelé pour plaire au plus grand nombre et dépourvu de toute sensualité dans sa matière plastique ultra légère. Bon. Qu’est-ce qu’on s’en fout de toute façon ! On n’a déjà plus d’air pour respirer que nous ne passerons pas la journée. « Du temps qu’on existait », et qu’on faisait du vélo en se parlant de nos erreurs de jeunesse bien assis sur une selle en cuir. « Du temps qu’on existait », et à bientôt dans le peloton.
JLG