vendredi 16 novembre 2012

JUSTE AVANT LE COUP DE FREINS !



Tony… vient de terminer toutes ses manip informatiques sur son portable, vérifier ses # sur son compte twitter, autoriser ses nouveaux amis cyclistes sur Face Fook, et télécharger les dernières mises à jour essentielles pour profiter pleinement des sites marchands les plus réputés du moment sur Internet. Tony jette un coup d’œil rapide sur le temps pourri à travers la fenêtre pendant qu’il flashe totalement sur une paire de chaussures Giro™ à 274,95 euros. Des pompes de vélo « à lacets » au look rétro malgré leur super couleur argent marquée de vert fluo. Une belle paire de pompes toutes neuves alors que Tony en a déjà une armoire pleine. Des souliers à velcros et des godasses à système de serrage par câble. Tout un placard de grandes marques™ moulées dans le carbone. Il tombe des cordes ce jour-là. Tony se dit qu’il essaierait bien de mettre le nez dans la théorie du même nom expliquée sur une fiche Wikipédia pour tenter de comprendre les origines du monde qui l’entoure et réussir à mettre au point une méthode efficace pour éradiquer définitivement cette météo de merde de son espace vital.


 

PHOTO © Jean-Luc Gantner



Tony se dit ça surtout dans la perspective de trouver une faille tangible dans le chaos ambiant… Toute une playlist de commentaires dans la presse et sur les réseaux sociaux à propos d’une cohorte de champions déchus par exemple ! Tout un peloton, dégradé, jeté à la vindicte selon la parfaite illustration du principe de la thermodynamique des trous noirs. Une matière sombre déjà oubliée, remplacée par un flux d’infos débordant d’idées fixes (Idéfix… Ce serait pas le chien d’Obélix ?!... Le clébard qui suit partout le livreur de menhirs dans les BD d’Uderzo, alors qu’il nous avait montré qu’il savait aussi courir tout seul derrière les petits lapins dans une édition des années soixante dédiée uniquement aux enfants et aux chiens…) « Rien ne se perd, tout se transforme » disait Lavoisier… Mais je me demande quand même bien ce que je vais pouvoir foutre d’un Fox terrier de bande dessinée belge au milieu d’une tentative de dérapage sémantique concernant la matière d’une sortie d'automne à vélo.




PHOTO © Jean-Luc Gantner


Tony, face à son écran, tente un rapide calcul de masse grasse à ne surtout pas dépasser pendant l’hiver, rapportée à la gravité des événements planétaires survenus lors de ces dernières vingt quatre heures, mais n’aboutit à rien de probant qu’il pourrait publier dans les pages sportives d’un journal sérieux comme le 19/20 de France 3. Tony, empêtré dans ses calculs de statistiques (la probabilité quasi nulle d'être reconduit à son poste de reporter sportif après la rédaction d'un papier aussi sérieux que celui là à la rubrique météo. Comme celle de voir passer Bradley Wiggins en jaune sous l’Arc de Triomphe depuis la porte Maillot. La porte Maillot… qui peut bien porter ce qu’elle veut de jaune ou d’autre chose le jour ou tout le monde a les yeux fixés sur la remise de tricots officiels des Champs-Elysées).
Ce brave Tony… qui repense alors à l’hymne solennel d’une grande boucle convertie cette année dans la langue de Joe Strummer ou de Sid Vicious ?!... Juste comme ça, juste à ce moment là. Une pensée d’un Anglais à Paris qui lui traverse l’esprit comme un morceau de musique punk au milieu d’une séance d’enregistrement de Justin Bieber. Une idée idiote, comme celle d’offrir une Zipp™ 404 à Stephen Hawking ou utiliser un Sram™ Red pour essayer de raccorder les fans de David Beckham aux lecteurs d’Arthur Miller ou de Jonathan Coe. Un putain de joueur quand même ! Enfin, un putain de joueur d’avant 2007 surtout ! Le Beckham de Manchester United ou du Real Madrid plutôt que le footeux de salon dans Gala… Le Beckham qu’on aurait tous bien vu au PSG. N’est-ce pas Thibaut ? Même si, bon, c'est vrai ! le mec demandait un peu cher (se prenant certainement pour une fabrique de ballons d’or à lui tout seul, et sans jamais avoir foutu un seul pied à l’usine…)




PHOTO © Jean-Luc Gantner




Une connexion baroque sur le réseau au lieu d’une belle continuité linéaire adaptée aux séances prudentes de métaphysique commerciale. Bref ! À force de penser derrière sa fenêtre avec la matinée qui défile et le soleil qui finit quand même par revenir, Tony se décide enfin à prendre le large pour profiter d’un bout de ciel dans les tons secs prévus pour le restant de l’après midi ; récupère une de ses bécanes posées sous la fenêtre du salon (celle avec ses deux gros pneus crantés prévus pour les terrains vagues et la boue, la houle sous la selle et les glissades esthétiques sur les paquets de feuilles détrempées) et s’élance pour une bonne sortie d’entrainement sur son vélo des bois.
Une randonnée cramponnée au chronomètre pour voir le monde filer à toutes bombes sans avoir le temps de réfléchir au degré d’entropie laissée derrière soi ; sentir l’air glacé pénétrer dans les poumons incendiés par la contrainte physique, la difficulté du combat livré.




PHOTO © Jean-Luc Gantner



C’est là que j’ai croisé Tony. C’est con, mais je croyais l’avoir perdu de vue depuis qu’on s’était engueulé à propos d’un titre de Lou Doillon (C'est fou ce que l'on peut quelquefois s'engueuler pour des trucs vraiment sans intérêt !) Un titre génial, certes ! « mais sur un disque chiant à mourir, je maintiens... » (On n’est quand même pas chez Drucker ici, non ?!) Remarquez que quand je dis « un disque », je dis « un disque » parce qu’on a toujours dit comme ça. Comme on parle d’un tas de trucs qui n’existent plus depuis l’invention d’Internet, mais qu’on continue quand même d’appeler comme on l’a toujours fait pour se persuader d’un vieux monde matériel qui persisterait malgré tout, un monde de choses en dur qu’on peut aussi toucher comme un vélo sur lequel on peut encore poser son cul en se faisant mal aux jambes avec les muscles qui brulent et le cœur que l’on sent battre un peu fort dans les côtes.




PHOTO © Jean-Luc Gantner



Bon ! Où on en était nous avec tout ça ?!... Oui, ce Tony que je croise la tête baissée sous sa casquette de cyclocrossman et les orteils bien enfoncés dans ses cale-pieds. Le genre de mec qui se fout pas mal de tout ce qui se confond dans les journaux sérieux dont on parlait à l’instant, et de la jolie gente qui les remplit. Tony dont je prends la roue comme d’autres confrères prennent aussi un paquet de notes pour se souvenir de la marque™ du magasin. Le côté « gente » qui en connait un rayon sur tout ce qui bouge sous les pneus, les mouvements planétaires et la cosmologie générale.




PHOTO © Jean-Luc Gantner



C’est là qu’il s’est remis à pleuvoir. Juste une bruine, un crachin désagréable pour foutre en l’air le beau contraste sur les photos. Tony s’était barré dans une descente débridée, un rythme infernal dans la terre glaise et les effleurements calcaires sous le tapis végétal cramoisi ; une pente redoutable bien au-dessus de mes moyens, me laissant à mes propres pensées agitées des siennes alors en pleine débandade. Une sacrée secousse au moment de me résoudre à serrer les freins.




PHOTO © Jean-Luc Gantner


Et moi qui étais parti pour vous raconter le beau film de l’été prochain. Cantador, Froome, Rodriguez, Valverde… Wiggins en difficulté dans la deuxième grimpée de l’Alpes pendant que Rolland décide d’attaquer les frères Schleck au passage de la moto TV… Thibaut Pinot en guerrier sur les pentes du Ventoux pour avoir le droit de savourer une Despé sous le podium après avoir enfiler le maillot à pois. Toute une saison de cyclo-cross en cours avec la photo de Francis Mourey chaque semaine dans les journaux. Les classiques qui suivront avec un Tom Boonen affuté comme une faux avant les moissons ; Gilbert prêt pour la revanche ; et le match Cancellara, Sagan... Juste avant le départ d’un 100e Tour de France en Corse. Une randonnée d'enfer dans les pages du Blog Cycliste ! Jean-Luc Gantner